Comment se relève-t-on de trois échecs consécutifs ? La question ne se pose pas pour un sauteur en hauteur – c’est littéralement son métier – mais pour un fabricant de matériel de jeux vidéo, il est crucial de trouver le succès tôt ou tard, faute de quoi des conséquences sérieuses doivent être envisagées.
Telle était la crise à laquelle Sega était confrontée, alors que l’entreprise se retrouvait en troisième position sur un marché où, une demi-décennie plus tôt, elle menait la danse devant Nintendo dans certaines régions et lui livrait une concurrence féroce dans d’autres. Après n’avoir vendu que 2,24 millions d’extensions Mega CD / Sega CD pour sa Mega Drive / Genesis, puis un assez désastreux total de 800,000 unités pour l’extension 32X, Sega luttait dans une bataille perdante avec la Saturn.
Son excuse pour les ventes décevantes du Mega CD et du 32X était que ces extensions avaient toujours été destinées à prolonger simplement la durée de vie de la Mega Drive alors que Sega travaillait sur le vrai successeur de la console.
Mais la Saturn était ce successeur, et suite à un lancement surprise désastreux aux États-Unis qui a pris les joueurs de court et a infurié les détaillants non prévenus, la console n’a jamais réussi à s’imposer en Occident. Avec environ 9,2 millions d’unités vendues, elle se retrouvait loin derrière la Nintendo 64 (32,9 millions) et la Sony PlayStation, nouvelle venue et dominante avec 102,4 millions d’unités vendues.
Au milieu de l’année 1997, Sega possédant seulement 12% du marché des consoles, Bernie Stolar, président de Sega of America, déclara lors de la convention des jeux E3 que « la Saturn n’est pas notre avenir ». En mars 1998, Sega of America annonçait alors l’arrêt de la Saturn, moins de trois ans après son lancement, afin de se concentrer sur sa console de nouvelle génération.
Il s’agissait d’une stratégie audacieuse qui menaçait de frustrer encore plus de personnes – les joueurs qui possédaient une Saturn, les développeurs ayant des jeux Saturn en développement, les détaillants avec des stocks de Saturn à écouler – mais le plan de Sega était clair : prendre une longueur d’avance sur la prochaine génération en lançant sa nouvelle console bien avant que Sony et Nintendo ne lancent les leurs (les systèmes qui deviendraient éventuellement la PS2 et la GameCube).
Pour son prochain système, Sega s’est tourné vers IBM et lui a demandé de travailler sur un prototype pour le matériel de console de nouvelle génération. Avec le nom de code Black Belt, ce prototype utilisait une technologie graphique créée par la société américaine 3dfx Interactive.
Mécontent d’apprendre que Sega envisageait de sous-traiter le développement de sa nouvelle console à une tierce partie américaine, le responsable du développement matériel de Sega au Japon, Hideki Sata, a mis son équipe au travail sur un prototype de leur propre cru, nommé Katana.
Finalement, Sega décida que Katana serait le prototype avec lequel elle irait de l’avant, et après avoir réglé un procès potentiellement compliqué avec 3dfx (qui prétendait que Sega avait promis d’utiliser sa technologie et l’abandonnait maintenant), tout était prêt pour le successeur de la Saturn.
La console allait également recevoir un nouveau nom, Dreamcast : un nom qui évoquait des visions de graphismes si impressionnants qu’ils ne pouvaient être imaginés, ainsi que ses capacités en ligne (c’est-à-dire de diffusion).
Dreamcast était en effet un grand pas en avant par rapport à la PlayStation, à la Saturn et à la Nintendo 64 en termes de puissance et de performances. Selon les situations, la console était capable de délivrer jusqu’à 6-7 millions de polygones par seconde, comparé à 360,000 sur la PlayStation, et pouvait afficher en 480p, la résolution la plus élevée possible sur un téléviseur à définition standard à l’époque.
De plus, la puissance de traitement de la console signifiait qu’un nombre beaucoup plus important de ses jeux fonctionnaient à 60 images par seconde, ce qui était plus rare pour les jeux polygonaux sur PlayStation, N64 et Saturn.
Dans un geste astucieux, Sega décida également de faire en sorte que le matériel de la Dreamcast soit architecturalement similaire à celui de son tableau d’arcade Naomi. Bien que le Naomi disposait d’une mémoire supplémentaire, cela signifiait qu’il était relativement simple pour les développeurs de jeux d’arcade basés sur Naomi de les porter ensuite sur la Dreamcast, faisant de la console une source exceptionnelle de titres de qualité quasi arcade.
Avoir les graphismes les plus impressionnants de toutes les consoles domestiques était une chose, mais l’héritage de la Dreamcast reposait plutôt sur les bases qu’elle avait posées en matière de connectivité en ligne.
Chaque console Dreamcast était équipée de son propre modem intégré (33,3Kbps au Japon, 56Kbps en Occident), qui pouvait être connecté à la ligne téléphonique et utilisé pour non seulement naviguer sur Internet via la console (à une époque où tout le monde n’avait pas de PC le permettant), mais aussi pour affronter d’autres joueurs dans certains jeux et même télécharger occasionnellement des DLC pour leurs jeux.
La navigation web était basique, les lags en multijoueur étaient fréquents et les DLC étaient minuscules, mais les graines étaient plantées et, même si la PS2 et la GameCube allaient être lancées sans fonctionnalités en ligne, la Xbox de Microsoft – considérée par certains comme la successeur naturelle de la Dreamcast – lancerait finalement Xbox Live et continuerait là où Sega avait arrêté.